La langue française, si belle mais en même temps si compliquée... et croyez moi, le fait d’enseigner mes enfants me rappel toutes les complexités, les règles et surtout les exceptions.
Je me suis donné comme défi d’écrire ma prochaine pièce dans la langue de Molière afin de me donner la chance de jouer avec toutes ses nuances mais aussi et surtout pour honorer ce grand poète qui est à la source de notre choix de destination de voyage de cet été. J’y reviendrai, mais pour le moment je vous partage un de ses textes afin de vous mettre dans l’esprit dans lequel j’étais lorsque nous avons non pas mis les pieds mais franchit le pont qui nous amena sur l’Île.
Le Tour de l’Île
“Pour supporter le difficile
Et l'inutile
Y a l'tour de l'île
Quarante-deux milles
De choses tranquilles
Pour oublier grande blessure Dessous l'armure
Été, hiver,
Y a l'tour de l'île
L'Île d'Orléans
L'Île c'est comme Chartres
C'est haut et propre
Avec des nefs
Avec des arcs, des corridors
Et des falaises
En février la neige est rose Comme chair de femme
Et en juillet le fleuve est tiède
Sur les battures
Au mois de mai, à marée basse Voilà les oies
Depuis des siècles
Au mois de juin
Parties les oies
Mais nous les gens
Les descendants de La Rochelle Présents tout l' temps
Surtout l'hiver
Comme les arbres
Mais c'est pas vrai
Ben oui c'est vrai
Écoute encore
Maisons de bois
Maisons de pierre
Clochers pointus
Et dans les fonds des pâturages De silence
Des enfants blonds nourris d'azur Comme les anges
Jouent à la guerre
Imaginaire, imaginons
L'Île d'Orléans un dépotoir
Un cimetière
Parcs à vidanges, boîte à déchets
U. S. parkings
On veut la mettre en mini-jupe
And speak English
Faire ça à elle, l'Île d'Orléans
Notre fleur de lyse
Mais c'est pas vrai
Ben oui c'est vrai
Raconte encore
Sous un nuage près d'un cours d'eau C'est un berceau
Et un grand-père
Au regard bleu
Qui monte la garde
Il sait pas trop ce qu'on dit
Dans les capitales
L'oeil vers le golfe ou Montréal Guette le signal
Pour célébrer l'indépendance
Quand on y pense
C'est-y en France
C'est comme en France
Le tour de l'île
Quarante-deux milles
Comme des vagues les montagnes Les fruits sont mûrs
Dans les vergers
De mon pays
Ça signifie
L'heure est venue
Si t'as compris”
Je rêvais d’une escapade en grande nature, au bord de l’eau où nous pourrions ralentir le brouhaha constant de notre vie familiale à 6 avec ses innombrables activités et où le calendrier bien chargé y est roi. Tout à la manière de Félix Leclerc, je voulais m’y installer pour une semaine sans adresse, sans amis, sans horaires... lui caché derrière ses chênes, nous logé dans un Airbnb longeant la Rue de l’Église où l’entrée est accessible selon les marées.
Lorsque je suis tombé sur cette perle rare, probablement une cancellation dernière minute, puisque je naviguais les pages du fameux site Airbnb depuis déjà quelques jours et que rien ne m’était tombé dans l’oeil. Cette maison, cet emplacement, l’eau, l’entrée dissimulée sur la plage... c’était tout ce dont je m’étais imaginé pour ces vacances.
À quelques minutes de marche d’une toute nouvelle Boulangerie qui avait fait les manchettes un peu plus tôt. Je nous voyais déjà y faire notre petite randonnée matinale pour aller y chercher cafés, croissants, miche de pain... souvenirs d’un voyage qu’on avait fait en amoureux pour souligner le début de notre vie à deux. Où à tous les matins, mon nouveau petit mari allait nous chercher des pâtisseries françaises en longeant les rues sinueuses du sud de la France.
Nous louons donc cette merveilleuse petite maison ancestrale pour la durée de la semaine selon sa disponibilité, du lundi au vendredi. Durée un peu plus courte que ce que nous avons l’habitude, puisque nous favorisons toujours le “slow travel”, une expérience où nous nous allouons des journées sans agenda afin de relaxer et refaire le plein, mais nous nous disons que le fait que la route sera plus courte pour s’y rendre(environ 5 heures) et que tout est à proximité une fois sur l’Île nous permettra de récupérer malgré la courte durée.
Les enfants font le trajet sans rechignement, ce que nous nous attendions d’eux vu la courte durée mais surtout vu l’expérience de voyage à laquelle ils ont déjà été privilégiés. Un petit 5 heures de route avec musique, livres audios, collations multiples grâce à notre grande qui avait tout prévu, ça se fait tout seul.
Nous faisons un arrêt au IGA(épicerie) juste avant de traverser le pont pour l’Ile puisque nous n’y avons jamais mis les pieds avant et que nous ne savons pas ce qu’on sera en mesure de se procurer en fait de bouffe. Il y aussi le fait que nous avons transformé notre alimentation depuis les derniers mois et que nos habitudes alimentaires à base de plantes seront peut-être difficiles à combler dans les petits marchés locaux. Nous entrons par la section de produits bio/naturels de l’épicerie sans le savoir. Nous y retrouvons tous les produits que nous avons l’habitude de consommer à la maison. J’avoue avoir un petit moment de fierté lorsque nous passons à la caisse sans avoir eu besoin de traverser les allées du supermarché.
Notre entrée sur l’Île me remplit d’émotions. Un calme m’envahit et surtout une admiration sans retenue pour la beauté qui nous entoure de toutes parts. Mes exclamations m’apportent, bien entendu, la moquerie de mes enfants mais qui vite se traduit par leur propre admiration devant tant de beauté.
Les maisons ancestrales qui longent les petites rues, ou plutôt devrais-je dire, qui longe la seule rue, sont incroyablement imbibées de charmes et de travail artisanal qui ne font plus partie de la fabrication de maison de nos jours.
Les plates-bandes et jardins sont à leur apogée, ne pouvant faire autrement bénéficiant du climat idéal pour croître et maturer sur cette île reconnue pour son agriculture, ses vergers, ses champs de petits fruits, son abondance qui regorge tout au long des mois estivales. Je me sens comme si, moi aussi, j’y suis soudainement planté dans mon élément, endroit où je ne pourrai faire autrement que de m’épanouir pour la prochaine semaine.
Nous arrivons enfin à destination. La marée basse nous permet l’accès à notre entrée, après avoir conduit sur le sable de la plage et longé la Rue de l’Église. Nous nous installons dans cette humble maison aux fenêtres à faire rêver avec leur poignées installées au milieux des cadres et aux fenêtres qui s’ouvrent sur des vues qui évoquent tout ce dont j’avais espérer de l’Île.
Les garçons partagent une chambre ainsi que les filles. Chambres dotées d’un lit double chacune qui déjà est beaucoup mieux que les arrangements de l’été précédent lors de notre voyage en Nouvelle-Écosse où nous dormions tous dans une chambre commune et où les petits lits de camping nous avaient bien servis.
Ici, nous avions fait le point de choisir des endroits où dormir séparés, autant pour Jérémie et moi que pour les enfants. Même s’ils auraient préféré de plus avoir une chambre à eux seuls, nous leur avions vite fait comprendre que plus la maison est grande plus les finances sont serrées. Si nous voulions le luxe de se payer quelques petites gâteries, activités et surtout de belles sorties dans des restaurants aux plats délectables, une chambre partagée en valait bien le compromis.
Ils dénichèrent rapidement, au fond d’une garde-robe, deux contenants de blocs legos qui leur procurèrent des heures de plaisir lors des temps tranquilles que nous faisions le point d’ajouter à nos journées.
À peine installés, les enfants demandaient déjà combien de journées leur restaient à cette nouvelle aventure qu’on venait tout juste d’amorcer. Norah était bien déboussolée que notre lundi, journée où nous venions d’aménager, comptait dans la somme de nos 5 jours de location. L’art d’embrasser le moment présent leur échappe déjà parfois, preuve qu’ils vieillissent et que l’innocence et le “je m’en foutisme” de l’enfance s’efface un peu.
Première matinée, nous empruntons un petit sentier dissimulé parmi des vivaces qui s’épanouissent de tous leur être. Sentier qui nous mènent de la Rue de l’Église à la Boulangerie. Les enfants optent sans hésiter pour les croissants au chocolat, Jérémie pour un croissant fourré aux fraises de l’Île, moi pour un Americano. Nous passons à la terrasse qui est encore déserte vu l’heure à laquelle nous nous y retrouvons. Nous dégustons nos pâtisseries, le fleuve faisant doucement son apparition au fur et à mesure que le brouillard décide de se lever. Le paysage qui tout doucement se dessine sous nos yeux nous rappelle de savourer chaque bouchées mais surtout chaque moment qui s’offre à nous. Je retrouve la liste de lecture de musique de Félix dans mon cellulaire et fait jouer “Le Tour de l’Île” pour accompagner nos dernières bouchées.
Les enfants s’échappent de mon choix de bande sonore pour aller s’installer sur les mégas fauteuils disposés un peu partout sur la pelouse adjacente à la boulangerie. Ils font connaissance avec une dame et son chien.
Jérémie et moi finissons nos cafés pour ensuite regrouper notre marmaille pour une petite excursion improvisée le long du fleuve. Finn nous avait bien informé que sa seule exigence pour ce voyage était de pouvoir s’attarder sur la plage afin d’y recueillir du verre poli par l’eau. Tout simple comme demande mais parfois plus difficile de s’arrêter que de papillonner. On l'indulge...
“Perdre son temps fait partie de la formation de la pensée, sa respiration.” -Yvon Rivard
“The dream of my life is to lie down by a slow river and stare at the light in the trees – to learn something by being nothing.” -Mary Oliver
“One of the most underrated goals of healing and personal growth... is learning to sit in the discomfort of things actually going well. As trauma survivors, we don’t need to heal to learn how to tolerate the bad... but we do need to heal to learn how to accept the good and to learn that we are worthy of receiving good things. We don’t talk nearly enough about the anxiety that comes along with trying to accept the “thing” we have been working so hard for (I.e., the healthy relationship, the financial success, the dream job, etc.)...when that “thing” is finally right in front of us.”-Dr Elizabeth Fedrick
Après quelques temps, indulgence de côté, j’entreprends une marche dans le village de Saint-Jean afin d’y admirer l’architecture. Les filles m’accompagnent, mais l’envie de pipi nous rattrape ce qui nous ramène vite au bercail. Nous faisons un arrêt rapide à la Boulangerie pour acheter une miche de pain la grosseur de mon avant-bras et de retour à la maison!
Les garçons finissent par nous y rejoindre. Plutôt que de se cuisiner quelques chose à dîner nous optons pour la miche fraîchement tranchée et un stop à la confiturerie de l’Île.
“Grilled cheese, cheesecake, sloche pis bin de la confiture”, slogan qui nous accueil une fois stationné près de l’église de Saint-Laurent.
Nous participons à une dégustation de confitures et de coulis, tous aussi délicieux l’un que l’autre. L’emballage de 4 pots de confitures nous offre un rabais donc nous permettons aux enfants de s’en choisir chacun une tandis que Jérémie et moi optons pour un sirop de mûres pour se concocter des petits breuvages sophistiqués.
Mon idée de pique-nique sur le pif se concrétise lorsque j’offre aux enfants de retourner à la voiture avec nos achats afin de s’installer sur la banquette arrière, porte du coffre ouverte, Félix nous chantant la pomme, dégustant nos confitures tartinées sur notre gigantesque miche! Tout un délice, et des enfants aux anges puisque les tartines sont très rarement permises à la maison.
Nous poursuivons cette journée de touristes avec une marche dans Saint-Laurent et plusieurs visites dans les boutiques qui agrémentent le village. Fidèle à mon habitude, j’achète une carte de souhait, reproduction d’une aquarelle d’un artiste local représentant deux petites maisons ancestrales aux toits de couleurs vives que nous avons entrevues lors de nos déplacements sur l’Île. Je l’encadrerai et l’ajouterai à ma collection de peintures me rappelant nos voyages sur le mur de ma chambre à coucher une fois de retour chez nous.
Nous en avons assez de se promener. Le fleuve et la marée nous appellent. Nous voulons rentrer au bercail, se promener pieds nus sur la plage qui est bordée de roches stratifiées, parcourir les mètres qui sont maintenant dévoilés puisque la marée basse est au rendez vous nous offrant un tout nouvel aire de jeu. Les enfants en seront les maîtres pour la prochaine heure, s’amusant à suivre l’eau qui s’en va en retrait jusqu’au changement de marée.
Mercredi matin; la température s’annonce clémente encore aujourd’hui. On verra pour demain puisque la météo annonce des averses. On en profite donc pour parcourir la plage encore une fois. On marche en fixant nos pieds, oubliant la beauté qui nous entoure, concentré sur ces petits bouts de verres colorés qui nous fascinent tant. On doit marcher pendant des heures, maintenant un peu plus connaissants des marées nous permettant ainsi de s’aventurer un peu plus loin sans crainte de devenir naufragés.
Enfin, après avoir fait le plein de trouvailles, nous planifions une petite escapade à l’Espace Félix Leclerc. Endroit que je rêve de visiter. Située à l’entrée de l’Île, dans le village de Saint-Pierre, à une vingtaine de minutes d’où nous habitons.
Comme à chaque fois que je suis la raison d’une activité, je suis prise d’anticipation mais aussi un peu d’anxiété à l’idée d’apporter 4 enfants visiter une exposition sur un poète décédé l’année où j’ai fait mon apparition sur la planète.
J’ai peur qu’ils s’ennuient et qu’ils jettent ainsi un nuage sur ce qui me tient tant à coeur. Lors de notre arrivée, une affiche à l’entrée des lieux indique des visites guidées, animées par Nathalie Leclerc, la fille de Félix.
Malheureusement, l’heure indiquée de la visite est 10:30 et il est maintenant 10:45... nous l’avons manqué! Mais bon, je ne savais même pas qu’elle y serait et le fait de visiter à notre propre rythme camouflera peut être l’ennuie des enfants... nous payons notre entrée au comptoir et la jeune fille à l’accueil nous informe que la visite guidée aura lieu a 11 heures ce matin, que nous pouvons toujours nous y inscrire, elle nous suggère de regarder le documentaire qui joue en boucle dans la pièce adjointe le temps que Nathalie vienne nous y chercher pour passer à l’étage du haut pour la visite. Jérémie sait que je veux à tout prix y participer, les enfants aussi... ils obligent.
Nathalie nous rejoint quelques minutes plus tard, elle nous guide aux deuxième. Nous fait asseoir au milieu de l’exposition qu’elle a monté il y a quelques années à la douce mémoire de son père. Elle nous transporte dans un monde d’histoires et d’anecdotes dont j’en connais déjà plusieurs et les enfants aussi d’ailleurs. Notre amour pour son paternel, tout ce qu’il émet et dégage par la beauté de ses textes et ses chansons nous émeut mutuellement. J’ai les larmes aux yeux à l’écouter et elle aussi se voit émue devant l’immortalité de son père par le partage de ses oeuvres à cette nouvelle génération.
Les enfants boivent ses mots qui sont presque aussi beaux que ceux de son père. Cette visite guidée qui devait s’avérer durer une trentaine de minutes déborde sur une heure trente et nous ne voulons toujours pas partir. Elle nous fait faire le tour des objets choisis pour l’exposition. Nous prenons quelques photos au milieu de la reproduction du bureau de Félix. Je lui demande s’il est vrai que l’adresse de la maison de son père demeure un mystère. Elle nous raconte que lors de sa jeunesse, lorsqu’elle se faisait demander l’endroit où il habitait, qu’il lui arrivait d’aller jusqu’à renier connaître le grand poète. Son adresse est inconnue, sa boîte aux lettres absente, lui qui voulait la paix afin de flâner parmi ses chênes et rêvasser loin des dérangements des curieux.
Elle me chuchote l’adresse à l’oreille, reconnaissant que je ne désire pas faire ma fouine mais bien plutôt me recueillir devant les lieux d’habitation de l’homme qui me fait apprécier la totalité de qui je suis, mon besoin de solitude, mon amour pour la nature, mon amour de la langue française et mon besoin d’utiliser les mots pour mettre de l’ordre dans mes pensées. Cela me touche infiniment de connaître l’adresse que je garderai secrète mais qui fera l’objet de notre recueillement lors de notre tour de l’Île.
Je me fais demander souvent "Pourquoi Félix?" Jérémie a même fait la remarque en me voyant si émue à l’Espace qui lui est entièrement consacrée... pourquoi lui? Je suis loin d’être une “groupie” pourtant. Les gens célèbres m’ébranlent peu, je suis trop consciente de la condition de l’être humain pour mettre qui que soit sur un piédestal. Ce n’est pas autant sa personne ni ses accomplissements quoi qu’eux ci sont quand même époustouflants mais plutôt son essence, son âme, ses petits brins de mots qui touchent mon coeur en plein dans la mire. Des passages qui expriment dans toute leur simplicité la complexité de mes sentiments. Ce sont aussi ses moments de solitudes et de recueillement qui m’inspirent. La reconnaissance que pour créer, pour laisser une toute petite empreinte sur les générations à venir, pour inspirer ou tout simplement pour offrir un peu de soi, qu’il faut s’offrir des moments de flânage. Que les périodes de grande ouverture et de partage doivent se ponctuer également de moments passés seul à contempler les beautés simples du quotidien ou de la nature qui nous entourent. Que notre vie est un voyage, que les pauses ne sont pas du temps perdu mais bien plutôt du temps nécessaire pour faire ce long voyage d’une façon inspirée et inspirante. Félix me fait du bien, me rappelle de flâner et de m’émerveiller et que tout cela est plus que OK.
“Je croyais être blasé, j’avais peur d’être blasé. J’arrive à la grange, je trouve un oeuf de poule, le premier pondu chez moi, et je crois que je suis resté une heure à le regarder et à l’examiner; à dix pieds dans la paille, la poulette était fière mais pas plus que moi. Voilà comment d’une simple journée de semaine, je me suis fait un dimanche.” -Félix
J’achète le livre que Nathalie a écrit sur son père: La Voix de mon Père, et le lis en une journée. Encore une fois émue aux larmes devant son essence. C’est tous les petits rappels que j’ai besoin, les permissions même que je ne me donne pas assez souvent pour prendre le temps tout simplement. Sa voix violoncelle, comme elle la décrit, retentit dans mes oreilles pour l’avoir entendue tant de fois me chanter ses poèmes mais aussi me réciter son fameux récit “Pieds nus dans l'aube” sur vinyle, un trésor que j’ai déniché dans un vieux magasin de disque dans le vieux Québec au printemps.
« Tranquillement je comprends Félix que je dois prendre mon temps, le temps de flâner, le temps de lever les yeux vers le ciel, d’y voir les oies sauvages et de m’asseoir sous les chênes! »
“Mon père est un être à la source éclatante. Sa vie, parcours de grand chemin neuf, est une île et son fleuve à la fois. Maintenant, il passe beaucoup de temps dehors à regarder.
-Qu’a fait ton père aujourd’hui?
-Il a regardé.”
La Voix de mon père, Nathalie Leclerc
Nous passons par la voiture récupérer notre pique-nique et descendons de l’autre côté de la route pour admirer ce “grand-père au regard bleu qui monte la garde”: une statue créée par son neveux en son honneur.
Nous mangeons dans l’ombre de ce géant, encore une fois sa trame sonore en toile de fond. J’explore quelques minutes la petite route campagnarde qui mène au fleuve, route qui a pour but de recréer celle que Félix a tant de fois longée en compagnie de Nathalie sur leur propriété à quelques minutes de là. Le ciel est aux averses, on n’ose pas faire la randonnée dans son entièreté de peur de se faire mouiller dessus. Et les enfants, qui ont si bien participé, demandent à retourner. Je flânerai au bord du fleuve à un autre moment.
Comme de vrais touristes à l’Île, nous ne pouvons tout de même pas passer devant Cassis Mona et filles sans s’y arrêter le temps d’une crème glacée aux cassis bien entendue et d’y faire l’achat de leur vin de fruit et sirop pour se concocter “la meilleure” sangria selon leurs publicités! Ils n’avaient pas tort. Il faudra attendre d’être de retour à la maison afin de concocter cette petite recette de ma boisson estivale favorite mais l’attente en aura bien value la peine! Excellent, j’approuve!
Le coeur toujours débordant d’émotions, je veux faire un arrêt au cimetière de Saint-Pierre, y voir la tombe de Félix et les nombreux souliers qui la garnissent. Simplicité absolue; une pierre comme toutes les autres, au milieu d’un cimetière tout simple, une montagne de souliers recouvrant le sol parmi des brindilles de gazon mal coupées vu tout ces souliers qui eux aussi ont fini de voyager.
“Tous les souliers qui bougent dans les cités Souliers de gueux et souliers de reine
Un jour cesseront d'user les planchers Peut-être cette semaine
Non, mes souliers n'ont pas foulé Athènes Moi, mes souliers ont préféré les plaines Quand mes souliers iront dans les musées Ce sera pour s'y s'y accrocher
Au paradis, paraît-il, mes amis
C'est pas la place pour les souliers vernis
Dépêchez-vous de salir vos souliers
Si vous voulez être pardonnés
Si vous voulez être pardonnés”
Avec l’adresse de sa demeure en chuchotement au fond de mes oreilles, nous continuons notre route et la trouvons dissimulée derrière tant de grands arbres. Merci Félix pour tout ce qui déborda de toi lorsque tu te permis de “regarder” ces arbres pendant des heures pour ensuite mettre plume au papier et partager tes plus intimes pensées. Mon coeur y résonne et mon quotidien tente d’y battre en cadence.
Le Tour de l’Île... c’est aujourd’hui qu’on le fait. Passage par Sainte-Famille puis par Saint- François pour revenir à Saint-Jean. Nous manque plus que Sainte-Pétronille que nous ferons juste avant de quitter l’Île vendredi. La route du Mitan aussi nous échappe. Mais je compte bien y revenir et y flâner d’ici bientôt.
Nous reste que le jeudi pour planifier quelques sorties puisque le vendredi sera consacré à refaire nos minces bagages et à tout remettre à l’ordre dans cette demeure qui grave sa place sur nos coeurs.
La journée est aux averses. Nous nous entendons pour un petit déjeuner à la Boulangerie La Midinette suivi par du temps de repos à la maison, temps pour longer la plage encore une fois ou pour s’enfoncer le nez dans mes nouveaux livres de poèmes et de beaux mots.
Nous suggérons un dîner à la bonne franquette, question de passer les restes qui s’abritent au frigo afin de ne rien gaspiller et de surtout rapporter le stricte minimum à la maison, pour ensuite faire de notre souper une expérience gastronomique Au Moulin De St- Laurent. Ça fait l’unanimité.
Nous empruntons encore une fois le sentier au coeur des vivaces qui nous amène de la Rue de l’Église à la Boulangerie. Moi qui adore le jardinage, je prends le temps d’y observer les vivaces qui y sont parsemées en toute beauté.
Norah me rappelle à l’ordre, elle et sa fratrie, selon qui la Boulangerie est le summum de leur temps sur l’Île, il faut faire vite! Les petits bonheurs quoi!
Mon petit bonheur à moi sera de retrouver, lors de notre retour au AirbnB, des plants de vivaces arrachés et jetés en piles par la dame qui désherbe les plates-bandes depuis des jours. Je fouille les piles, me prenant des plants avec racines pour replanter une fois chez nous.
Je me suis créé un espace de fleurs dans mon nouveau jardin, espace regroupant des plantes qui me rappellent nos voyages des dernières années. Des graines de lupins ramassées en Nouvelle- Écosse, des Balsamines de l’Himalaya, si belles même si elles sont sauvages, me ramènent à ma rencontre avec Peter à Peggy’s Cove, et maintenant j’y ajouterai ces plantes aux clochettes mauves pour le plus grand plaisir des abeilles et des papillons.
Les filles se pouponnent une partie de l’après-midi, en vue de leur grande sortie pour le souper. On regarde le menu à l’avance afin d’éviter les conflits une fois sur place et surtout pour s’assurer qu’on est tous sur la même longueur d’ondes. Ce qui n’est pas toujours le cas avec tant de petites bouches à nourrir et des esprits qui s’emportent parfois rapidement avec l’âge qui avance.
Nos choix sont fait, nous voulons qu’ils goûtent à différents plats même si leur choix s’arrête sur les pizzas margherita cuites au four évidement.
Le menu est conçu selon ce qui est prêt à être récolter, ce qui nous convient à merveille. Nous avons mangé tant de petits fruits et légumes frais depuis notre arrivée ici.
La salade estivale avec une vinaigrette faite de cidre local ainsi que la salade de tomates et mozzarella frais nous convainc. Suivi par le Bol de Buddha et les pâtes au beurre blanc à la sauge, confit d’oignons et de courge et fromage parmesan sont juste parfaits.
Les enfants se régalent des petits pains chauds qui reviennent en boucle dans le panier assis au milieu de notre table, sirotant leur cidre de pomme non-alcoolisé local et rêvassant à leur pizzas qui arrivent sous peu. Le tout est un merveilleux festin.
L’endroit aux murs épais dont les cadres de fenêtres portent témoignage, ancien moulin à farine de l’Ile, débordant de charme et d’histoire est le lieu de rassemblement des petits couples qui désirent se retrouver et se créer une soiree imbibée de romantisme.
Nous y sommes presque les seuls avec des enfants, mais l’ambiance y est pour autant. Il ne faut surtout pas oublier les tartelettes et petits gâteaux au chocolat qui clôturent le repas et notre dernière soirée sur l’Île.
Demain matin viendra bien assez vite et avec lui la réalité d’une vie de famille bien chargée mais aussi bien remplie de tant de moments simples et beaux que je ne voudrais surtout pas échanger contre rien au monde.
On plaisante souvent, Jérémie et moi, qu’on ne savait pas tout à fait dans quoi nous nous “embarquions” en se créant tant de petites personnes pour venir égayer nos journées. J’ai tant pleuré il y a quelques semaines en réécoutant cette chanson de Lynda Lemay que j’aimais tant quand j’étais petite fille, cette partie en particulier:
“Toutes mes certitudes s'écroulent J'veux d'la marmaille à moi
J'veux moucher les p'tits nez qui coulent J'veux mettre ça en pyjama
Je veux qu'ça crie, je veux qu'ça saute Que ça brise des matelas
Et j'veux qu'ça salisse des chaises hautes J'veux d'la marmaille à moi”
Tout ce que je voulais dans ma tendre enfance c’était ça... des petits nez qui coulent et des chaises hautes crottées. J’en ai eu pour mon argent, mes dix années passées à m’occuper de la marmaille des autres avant d’enfin avoir la mienne. Et maintenant les voir grandir, plus de nez à moucher, plus de petits pyjamas à pieds et surtout plus de chaises hautes à nettoyer... mon coeur est comblé mais aussi triste de les voir grandir et éventuellement partir.
Ces petits moments où l’on réussit à s’échapper de tout, juste pour nous, est un baume pour mon âme de maman. Ce qui me ramène à Félix; son amour pour sa tendre enfance et pour sa mère me touche profondément. C’est ce que je désire offrir à mes enfants.
Mon coeur de mère résonne à ces mots:
“Notre mère fut notre pilote sûr et joyeux devant les innombrables remous(...) Maman voulait nous vendre une chose, une façon de penser, la façon de penser, en d’autres termes: l’art de vivre. Nous étions bien loin de nous douter que c’était un art. Sa philosophie, comme celle des oiseaux, se résumait au pain quotidien et à la paix intérieure; et elle y tenait, y revenait souvent comme la vague sur la roche, sachant l’inconstance des hommes et la facilité qu’ont les idées de disparaître(...) Elle les forçait à faire le ménage sous leur crâne, sachant bien que si le pivot est pourri, toute la machine va crouler. Initiés par elle au bonheur, juger nous était défendu, et, nous arrivait-il d’être pris dans la laideur, elle nous levait le menton et disait:
-Regarde en haut pendant que tes pieds se débrouilleront.
Et lorsque nous baissions la tête, nous étions sur le dur.
-Une maison chaude, du pain sur la nappe et des coudes qui se touchent, voilà le bonheur, répétait-elle à la table.
Puis le repas reprenait tranquillement. Nous pensions au bonheur qui sortait des plats fumants, qui nous attendait dehors au soleil. Et nous étions heureux. Papa tournait la tête comme nous pour voir le bonheur jusque dans le fond du corridor. En riant, parce qu’il se sentait visé, il demandait à ma mère: pourquoi nous y fais-tu penser à ce bonheur? Elle répondait: -Pour qu’il reste avec nous le plus longtemps possible.”
Plus tard il écrira: “Ça sent le pain chaud et je touche du velours quand je pense à ma mère.”
C’est l’empreinte que j’ose espérer laisser à ma marmaille... par notre quotidien bien à nous mais aussi par mes écrits qui sont parfois plus posés que mes talents de boulangère.
Merci de m’avoir lue,
Geneviève
“Comme un cierge qui brûlerait la tête en bas, la goutte d’eau s’échappe du glaçon. Il vient là-bas dans son char de parfums et de soieries, le printemps. Je vais d’abord sortir sur mon perron pour le regarder passer et après je m’évade sur la petite route à flânerie derrière chez moi où Geneviève m’attend quelque part le long du ruisseau qui dégèle...”
-Calepin d’un flâneur, Félix Leclerc
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